Recherches diverses



-Sélections de Tiéphane et de Cécile-


Commentaire sur la préface du Barbier de Séville
Dans un premier temps, Beaumarchais souhaite et insiste pour que son lecteur soit dans les meilleures dispositions pour entamer la lecture du Barbier afin d’en apprécier pleinement l’ensemble. Il nous demande donc un certain état de concentration ainsi qu’une paix intérieure et extérieure « pour être homme amusable et indulgent ». Ainsi, si, en raison de différents aléas nous ne sommes pas aptes à la lecture, alors laissons l’ouvrage là pour nous tourner vers d’autres occupations. En effet ; «Quel charme aurait une production légère au milieu des plus noires vapeurs ? Et que vous importe en effet si Figaro le barbier s'est bien moqué de Bartholo le médecin, en aidant un rival à lui souffler sa maîtresse ? On rit peu de la gaieté d'autrui, quand on a de l'humeur pour son propre compte. ».

Différemment du temps où seul un public privilégié pouvait ouïr l’œuvre lue par Beaumarchais lui-même et où un triomphe assuré lui était réservé, le lecteur peut désormais avoir accès à l’œuvre de lui-même. De la sorte, Beaumarchais ne peut plus utiliser aucune tricherie dans sa lecture, le lecteur possède la pièce directement sans passer par l’auteur. D’où la remarque de notre dramaturge :
« C’est ma vertu toute nue que vous allez juger ».
Celui-ci se différencie par la suite de certains auteurs voulant s’attirer les faveurs de son public en l’appelant négligemment
« ami lecteur », « cher lecteur »… Il préfère un ton plus modeste puisque selon lui, ce n’est pas en brossant son auditoire dans le sens du poil qu’on réussirait à le séduire mais au contraire, seule la modestie de l’auteur pourrait inspirer un peu d’indulgence : « Ne trouvez donc pas étrange, monsieur, si, mesurant mon style à ma situation, je ne fais pas comme ces écrivains qui se donnent le ton de vous appeler négligemment lecteur, ami lecteur, cher lecteur, bénin ou benoît lecteur, ou de telle autre dénomination cavalière, je dirais même indécente, par laquelle ces imprudents essayent de se mettre au pair avec leur juge, et qui ne fait bien souvent que leur en attirer l'animadversion J'ai toujours vu que les airs ne séduisaient personne, et que le ton modeste d'un auteur pouvait seul inspirer un peu d'indulgence à son fier lecteur. »
Il rappelle ses œuvres précédentes, des drames, et fait semblant, ironiquement, de les regretter. « Eh ! quel écrivain en eut jamais plus besoin que moi ? Je voudrais le cacher en vain ; j'eus la faiblesse autrefois, monsieur, de vous présenter, en différents temps, deux tristes drames ; productions monstrueuses, comme on sait ! car entre la tragédie et la comédie, on n'ignore plus qu'il n'existe rien, c'est un point décidé, le maître l'a dit, l'école en retentit : et pour moi, j'en suis tellement convaincu que si je voulais aujourd'hui mettre au théâtre une mère éplorée, une épouse trahie, une sœur éperdue, un fils déshérité, pour les présenter décemment au public, je commencerais par leur supposer un beau royaume où ils auraient régné de leur mieux, vers l'un des archipels, ou dans tel autre coin du monde ; certain après cela que l'invraisemblance du roman, l'énormité des faits, l'enflure des caractères, le gigantesque des idées et la bouffissure du langage, loin de m'être imputés à reproche, assureraient encore mon succès.
Présenter des hommes d'une condition moyenne accablés et dans le malheur ! fi donc ! On ne doit jamais les montrer que bafoués. Les citoyens ridicules et les rois malheureux, voilà tout le théâtre existant et possible ; et je me le tiens pour dit, c'est fait, je ne veux plus quereller avec personne.
J'ai donc eu la faiblesse autrefois, monsieur, de faire des drames qui n'étaient pas du bon genre ; et je m'en repens beaucoup. »
Mais même sa comédie ne trouve pas grâce aux yeux du public :
« Aujourd'hui je fais glisser sous vos yeux une comédie fort gaie, que certains maîtres de goût n'estiment pas du bon ton ; et je ne m'en console point. »
Il en vient donc à imaginer un sixième acte au Barbier dans un élan fantasmagorique et crée la scène de reconnaissance entre Figaro, Bartholo et Marceline qui apparaîtra plus tard dans Le Mariage. Il démontre ainsi que la pièce aurait pu tourner au pathétique au lieu de rester dans sa simplicité comique.

Il nous explique ensuite que pour obtenir tous « les lauriers littéraires », il lui fallait ; d’une part sortir vainqueur du théâtre, de l’autre être approuvé par son lecteur et enfin être détruit par les journaux. Au moment de l’écriture de la préface, la première condition comme la dernière avaient été remplies (un journaliste l’ayant complètement lacéré dans le journal du Bouillon est cité directement), il ne lui manquait plus que l’approbation de son lecteur auquel il demande de le juger de la manière la plus objective possible.

Par la suite il décrit la suite de sa première représentation du Barbier qui fut un désastre et comment il s’est vu rejeté par tout le monde
(« Tels sont les hommes : avez-vous du succès, ils vous accueillent, vous portent, vous caressent, ils s’honorent de vous ; mais gardez de broncher : au moindre échec, ô mes amis, souvenez-vous qu’il n’est plus d’amis »). Cependant, la pièce en elle-même s’est empressée de désarmer ses critiques par l’enjouement de son caractère. A l’image de l’esprit de Beaumarchais : incorrigible : « comme un liège emplumé qui bondit sur la raquette, il s’élève, il retombe, égaye mes yeux, repart en l’air, y fait la roue et revient encore ». C’est de cette façon que, selon l’auteur, devrait se disputer la Critique, avec intelligence et agilité.

S’ensuit une analyse et une réponse des critiques du Bouillon par Beaumarchais :
« "La pièce, a-t-il [un critique] dit, n'a pas de plan."
Est-ce parce qu'il est trop simple qu'il échappe à la sagacité de ce critique adolescent ?
Un vieillard amoureux prétend épouser demain sa pupille ; un jeune amant plus adroit le prévient, et ce jour même en fait sa femme à la barbe et dans la maison du tuteur. Voilà le fond, dont un eût pu faire, avec un égal succès, une tragédie, une comédie, un drame, un opéra, et caetera. L'Avare de Molière est-il autre chose ? le grand Mithridate est-il autre chose ? Le genre d'une pièce, comme celui de toute autre action, dépend moins du fond des choses que des caractères qui les mettent en oeuvre.
Quant à moi, ne voulant faire, sur ce plan, qu'une pièce amusante et sans fatigue, une espèce d'imbroille [imbroglio], il m'a suffi que le machiniste au lieu d'être un noir scélérat, fût un drôle de garçon, un homme insouciant, qui rit également du succès et de la chute de ses entreprises, pour que l'ouvrage, loin de tourner en drame sérieux, devînt une comédie fort gaie : et de cela seul que le tuteur est un peu moins sot que tous ceux qu'on trompe au théâtre, il est résulté beaucoup de mouvement dans la pièce, et surtout la nécessité d'y donner plus de ressort aux intrigants. »
...
« "La pièce est invraisemblable dans sa conduite", a dit encore le journaliste établi dans Bouillon avec approbation et privilège.
- Invraisemblable ? Examinons cela par plaisir.
Son Excellence M. le Comte Almaviva, dont j'ai, depuis longtemps, l'honneur d'être ami particulier, est un jeune seigneur, ou, pour mieux dire, était ; car l'âge et les grands emplois en ont fait depuis un homme fort grave, ainsi que je le suis devenu moi-même. Son Excellence était donc un jeune seigneur espagnol, vif, ardent, comme tous les amants de sa nation, que l'on croit froide et qui n'est que paresseuse.
Il s'était mis secrètement à la poursuite d'une belle personne qu'il avait entrevue à Madrid, et que son tuteur a bientôt ramenée au lieu de sa naissance. Un matin qu'il se promenait sous ses fenêtres à Séville, où, depuis huit jours, il cherchait à s'en faire remarquer, le hasard conduisit au même endroit Figaro le barbier. - Ah ! le hasard, dira mon critique : et si le hasard n'eût pas conduit ce jour-là le barbier dans cet endroit, que devenait la pièce ? - Elle eût commencé, mon frère, à quelque autre époque. - Impossible, puisque le tuteur, selon vous-même, épousait le lendemain. - Alors il n'y aurait pas eu de pièce ; ou, s'il y en avait eu, mon frère, elle aurait été différente. Une chose est-elle invraisemblable, parce qu'elle était possible autrement ?
Le hasard donc conduisit en ce même endroit Figaro le barbier, beau diseur, mauvais poète, hardi musicien, grand fringueneur de guitare, et jadis valet de chambre du Comte, établi dans Séville, y faisant avec succès des barbes, des romances et des mariages ; y maniant également le fer du phlébotome et le piston du pharmacien ; la terreur des maris, la coqueluche des femmes, et justement l'homme qu'il nous fallait. Et comme en toute recherche ce qu'on nomme passion n'est autre chose qu'un désir irrité par la contradiction, le jeune amant, qui n'eût peut-être eu qu'un goût de fantaisie pour cette beauté s'il l'eût rencontrée dans le monde, en devient amoureux parce qu'elle est enfermée, au point de faire l'impossible pour l'épouser. »
Enfin, il explique pourquoi il n'a pas suivi sa première idée de faire du Barbier un opéra :
« Pourquoi n'en avoir pas fait un opéra-comique ? [lui demande une dame] Ce fut, dit-on, votre première idée. La pièce est d'un genre à comporter de la musique.
- Je ne sais si elle est propre à la supporter, ou si je m'étais trompé d'abord en le supposant : mais, sans entrer dans les raisons qui m'ont fait changer d'avis, celle-ci, madame, répond à tout.
Notre musique dramatique ressemble trop encore à notre musique chansonnière, pour en attendre un véritable intérêt ou de la gaieté franche. Il faudra commencer à l'employer sérieusement au théâtre, quand on sentira bien qu'on ne doit y chanter que pour parler ; quand nos musiciens se rapprocheront de la nature, et surtout cesseront de s'imposer l'absurde loi de toujours revenir à la première partie d'un air après qu'ils en ont dit la seconde. Ce cruel radotage est la mort de l'intérêt, et dénote un vide insupportable dans les idées. »

Les Noces de Figaro (exemple d'opéra)

 -Mozart - Le Nozze Di Figaro

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